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Le blog d'un gynéco
9 mai 2011

Sisyphe

Sisyphe

Au collège et au lycée, j’aimais tout. Sauf le sport et l’allemand.

Lorsqu’il a été question de savoir quoi faire après le bac, j’ai hésité : Math sup ? Science po ? Droit ? Ecole d’archi ? Tout me tentait bien. Bizarrement, Médecine ne faisait pas partie de mes choix.

Il faut dire que  je pensais être plus scientifique que littéraire. Comme j’aimais la biologie encore plus que le reste, j’ai donc fait Math sup bio.

Et moi qui n’avais jamais eu de difficultés jusque là, j’ai rapidement décroché en maths.

Mais je restais persuadé d’être avant tout un scientifique. C’est à cette époque que j’ai lu Plus grands que l’amour de Dominique Lapierre.

C’était décidé : je finissais mon année en séchant les cours de maths et j’irai en médecine l’année d’après. Pour faire de la recherche médicale et pour sauver le monde.

Plus les années de Fac passaient, plus j’appréciais la richesse des contacts humains et moins j’étais attiré par les microscopes et les appareils technologiques.

Tous les organes me plaisaient autant et Martin Winckler a eu la bonne idée de publier La Maladie de Sachs lorsque j’étais en D4. Ce serait donc de la médecine générale.

Jusqu’à présent, je n’ai pas regretté ce choix et j’aime mon métier.

Parfois, pourtant, il m’arrive d’avoir la nostalgie de ne pas être avocat ou architecte.

Car la médecine, et plus particulièrement la médecine générale, est un combat perdu d’avance. Nous savons que nous pourrons gagner des batailles mais que nous finirons toujours par perdre la guerre. Et c’est quand même un peu frustrant.

L’avocat mène ses procès les uns après les autres. Il gagne ou il perd mais, en tout cas, chacun de ses dossiers a un début et une fin.

L’architecte érige des bâtiments qui, s’il a bien travaillé, lui survivront.

En médecine générale, rien de tout ça. Chaque histoire, chaque cas, chaque pathologie, n’est jamais qu’une étape vers l’échéance ultime.

Jamais nous ne pourrons nous asseoir et nous dire : « Voilà, ça y est. J’ai bien bossé, le résultat de mon travail est bon, je peux fermer ce dossier et passer à un autre. »

Même lorsque nous travaillons bien et aidons un patient à se sortir d’un mauvais pas, nous ne faisons, finalement, que l’aider à franchir une marche supplémentaire sur l’escalier de la vie.

Oh, bien sûr, cette tâche reste précieuse. Il ne s’agit pas de dire que notre travail n’aurait aucun sens. Mais, pourtant, il peut être bien décourageant  de voir ainsi une vague succéder à une autre, jusqu’au tsunami qui emportera tout.

Car en médecine générale, nous ne fermons jamais nos dossiers que dans deux cas : pour passer la main à un autre ou parce que notre patient est décédé. De victoire finale, jamais.

C’est bien là, au demeurant, le destin de chaque être humain, condamné à poursuivre sans relâche son inaccessible étoile.

Le travail ne sera décidément jamais achevé.

Il ne nous reste donc qu’à lire Camus, à reconnaître et à dépasser « l’absurdité du réel ». A nous féliciter de la direction de nos efforts plutôt que d’horizons que nous n’atteindrons jamais. A accompagner la perpétuelle lutte que les forces de la vie mènent contre l’inertie de la mort. A nous satisfaire de nous diriger vers le haut de la montagne en gardant le regard fixé sur un sommet dont nous savons, lucidement, qu’il restera inaccessible.

A accompagner les Hommes sur leur chemin, à faire le choix de l’action et à être, aux côtés de nos patients, des Sisyphes heureux.

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  • Je suis gynécologue installé en banlieue parisienne dite sensible. Ce blog est en accès libre sans publicité,sans but lucratif, auto-financé par moi seul, sans aucun lien avec l'industrie pharmaceutique. C'est le bloc note de mes coups de gueule !
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